Extrait de Mémoires d une Bigoudène v kerdranvat :
- Quelle histoire as-tu préférée ?
-Celle de la ville d' Ys ! Si tu veux, je te la raconte ! Attends, je vais chercher mon livre et je te la lis :
Depuis des milliers et des milliers d'années, la côte bretonne s'affaisse lentement et ce sont des estuaires que nous contemplons là où d'autres hommes ont vu de riants vallons, des îles là où ils découvraient des collines, des golfes là où ils cultivaient leurs champs. De toutes les villes englouties dont le nom résonne en nos mémoires comme une incantation( Occismor, Tolente, Lexoble...) la
plus célèbre est Is, l'opulente capitale du roi Gradlon.
Gradlon le Grand était le roi de Cornouaille et sa capitale était édifiée sur le bord de l'océan, face au soleil couchant, entre la presqu'île de Crozon et celle du Cap Sizun. La ville avait été fondée il y a très longtemps par des navigateurs venus d'Orient, les Phéniciens, qui y avaient établi un comptoir commercial. Pendant tout l'âge de bronze, elle avait été un des plus riches centres du trafic de l'étain et du plomb et nulle part ailleurs, dans tout l'occident, on ne voyait la population arborer de plus somptueux bijoux, toques d'or, colliers et bracelets incrustés de pierres précieuses. Mais, depuis sa construction, il y avait plus de vingt siècles, le niveau du sol sur lequel elle s'élevait avait baissé de plusieurs mètres et le quartier du port se trouvait maintenant au dessous du niveau de la mer à marée haute, tout au moins pendant les grandes marées. Pour le protéger des flots, il avait fallu édifier une haute digue (…)...
A cette époque commençait à se répandre en Armorique la religion chrétienne. Une grande partie de la population cornouaillaise s'y était déjà convertie, mais les fidèles du druidisme restaient encore nombreux. Le culte préceltique de la Grande Déesse n'était même pas complètement disparu et dans une ville comme Ys, qui était fréquentée par les matelots étrangers de toutes nationalités et qui de plus au temps de l'Empire Romain, avait hébergé des troupes d'occupation essentiellement composées de mercenaires asiates et nord-africains, l'influence des religions de l'Egypte et du Moyen-Orient se faisait très nettement sentir. Je ne serais qu'à-demi étonné que la ville d'Ys eût été la ville de la déesse Isis. Ce qui est certain, c'est que les divers cultes de mystères y avaient leurs initiés, leurs sanctuaires et leur cérémonies rituelles¹...(...)
- C'est un peu compliqué pour toi, Elise ! coupa
Denise, un peu perdue et j'ai les pommes de terre à mettre à cuire...
- Mais non, Maman, écoute la suite... quand Dahut, la fille de Gradlon, vole la clé de la digue à son père, elle la donne par amour à un étranger qui va ouvrir les vannes par méchanceté. C'est comme ça que la ville d'Ys a été engloutie et…
- Gwir eo ! J'ai souvent entendu raconter qu'au large de Douarnenez, dormait une ville engloutie et quand Paris serait sous les eaux, la ville d'Ys réapparaîtrait.
-Tu y crois, Maman ?
- Je n'en sais rien et j'ai autre chose à penser ! Allez, il est déjà l'heure de préparer le repas, ton père va bientôt rentrer !
- Tu ne veux pas que je te raconte celle du roi Marc'h, aux oreilles de cheval, qui avait un palais près de Douanenez...
- Une autre fois, Elise... j'ai mon ménage à terminer..."
1) Contes et légendes du pays breton de Yann Brekilien
(...) Toutes les versions avaient un point commun et décrivaient une ville heureuse et florissante. Certains disaient même
qu'elle était la plus belle ville du monde où se déroulaient de nombreuses fêtes mais suite à l'affaissement de la Bretagne dans la mer une haute digue fut construite. Seule une grande porte en
bronze permettait d'entrer et de sortir d'Ys.
Les Chrétiens auraient alors saisi l'occasion pour en faire une cité basée sur le pêcher d'où l'intervention d'un Dieu punisseur. D'après leur version Dahut( appelée aussi Ahès)
fille du roi Gradlon aurait donné la clé de la porte à son amant qui l'ouvrit un jour de tempête. Une vague de la taille d'une montagne s'abattit alors sur Ys.
Toutes les versions sont d'accord pour relater que Dahu se noya et que Gradlon aidé de Saint Guénolé se réfugia sur Quimper.
Ys serait toujours en vie sous les flots, les citoyens étant restés immortels.
Elise, en parcourant des dizaine d'ouvrages retenait toujours la même trame qui réunissaient Dahut, Gradlon et Saint Corentin.
Cette histoire a certainement été christianisée comme tant d'autres mais derrière tous ces saints et cette morale, il y a sans aucun doute une véritable cité qui a vécu cette catastrophe climatique,
conclut-elle.
De plus beaucoup pensent qu'un jour la ville resurgira et tous les héros des légendes bretonnes reviendront du royaume celte des morts.
Les anciens aiment raconter ''qu'un jour Paris sera engloutie et c'est alors qu'Ys réapparaîtra''
Elle allait fermer son dernier livre avant de quitter la bibliothèque quand une interprétation différente l'interpella. Elle écarquilla les yeux en décelant que des récits semblables existaient dans
les trois grandes contrées de la civilisation celte. Si on retrouvait la même légende chez les Bretons, les Gallois et les Irlandais ce ne pouvait être une pure invention sortie de l'imagination d'un
conteur poétique. Certains écrivains affirmaient que l'Odyssée d'Homère se déroulait dans l'océan Atlantique et dans la mer du Nord et qu'une ville nommée Ismara, pillée par les hommes d'Ulysse,
après avoir quittés Troie, serait indéniablement la ville d'Ys...
véronique kerdranvat